Voilà, c’en est fini de Varanasi. Très difficile de résumer ce que l’on a pu vivre ici. La prière y est partout, c’est sans aucun doute LE lieu pour découvrir la religion, la spiritualité, les modes de vie et de pensée en Inde. Que ce soit pour mourir ou pour se décrasser l’âme, tout hindou rêve de s’y rendre. 

Ce qui ressort à l’heure de prendre notre train pour Gorakhpur, dernière étape avant la frontière népalaise, c’est la sensation d’avoir vécu durant une semaine hors du temps et dans un tout autre monde. 

Car que penser d’une ville dans laquelle des dizaines de malades, de vieillards, se pressent dans l’espoir d’y mourir ? Que penser de ces innombrables cortèges funéraires, bruyants et colorés, que l’on a pu croiser dans des ruelles dans lesquelles nous nous amusions à nous perdre ? Que penser de ces échoppes, à quelques mètres des crémations, qui offrent la possibilité de se rafraîchir tout en observant des corps brûler ? Que penser du fait que chaque cadavre vaille ici son pesant de bois, durement négocié autour de la balance ? Et puis que penser de tous ces chiens qui traînent autour des bûchers, que penser, surtout, de ce qu’ils viennent y trouver ? Que penser, dès lors, de la mort ? A Varanasi comme ailleurs en Inde, difficile de ne pas se questionner... 


Au delà de ça, l’ancienne Bénarès c’est également l’une de ces cités indiennes où la tolérance est reine. Une ville où l’on croise des gens très différents, mais qui offre alors une place à chacun, sans une once de jugement, et ce du touriste au défunt. Des voyageurs, des sadhus, des arnaqueurs, des gurus, des drogués, des pèlerins, des estropiés, de jeunes mariés... Outre ce qui ressort d’un système de castes que nous ne maîtrisons pas, ici chacun semble faire sa vie, et ce jusqu’au moindre animal, qui bénéficiera plus qu’ailleurs encore, du fait que l’on croit au Karma. 


Enfin, nous retiendrons de cette semaine à Varanasi le problème majeur qu’est celui d’un fleuve au moins aussi pollué que sacré. Quelques coups d’épuisettes ont bien été donnés, il y a quelques semaines pour la virée en bateau de notre cher président français, mais le mal est évidemment plus profond... Alors nous n’y mettrons que les pieds, et pour les occidentaux que nous sommes il parait que c’est déjà pas mal ! Car «si aucun microbe qui se respecte ne saurait vivre dans une eau pareille» (M.Twain), dans les faits, le Gange foisonne de bactéries, de produits chimiques, d’excréments, de déchets plastiques, et de cadavres, plus ou moins incinérés. Il parait que le gouvernement s’active, sans trop de succès, depuis des dizaines d’années...

Et après tout peu importe car il est sacré ! Et quand on y croit rien n’empêche de s’y baigner, d’y laver son linge, ou au cours d’une «puja» de boire son eau, puis de s’en asperger ! 


Allez Varanasi, c’est fini, et l’Inde, aussi ! Alors merci à ce beau pays qui, des palais du Rajasthan à la démesure du Taj Mahal, en passant par les plages de Goa, la folie de Delhi et la quiétude des backwaters, nous aura sans cesse émerveillé. Merci pour les paradoxes, les leçons, les claques parfois. Merci pour toute cette diversité, cette tolérance, cette richesse culturelle et historique. Merci pour les épreuves, les barrières, les incompréhensions, l’aventure n’en était que plus riche.


Il y a presque six mois maintenant, après une première étape délicate à Delhi, nous estimions avec Clément que l’Inde était folle et pouvait rendre fou. Et à juste titre, car on y laisse beaucoup pour en gagner au moins autant. Elle est entière, et sa folie peut nous emmener, entiers comme elle, au plus profond de nous même. Rien n’y est anodin, tout y est sujet à réflexion. La famille, la mort, la vie... Et si nous préférerions parfois les indiens avec notre «bon sens», nous avons fini par prendre plaisir à nous perdre dans tous les sens pour mieux nous retrouver à l’endroit. Alors merci aux indiens d’avoir été ce qu’ils sont, sans tricher. De grands enfants, parfois, dans l’excès souvent. Merci à eux de nous avoir accueillis, appréciés, agacés ou détestés. Merci à eux, surtout, de nous avoir appris qui ils étaient, c’est ce que nous souhaitions. Désormais nous les aimons autant que nous les détestons. Et en même temps ils nous manqueront.

Comme leur pays ils sont en fait indescriptibles, et entiers. Incroyablement curieux, sans cesse surprenants, profondément impolis. Et c’est tellement bien ainsi. Ah si, quand même, s’ils pouvaient se calmer sur les selfies... 


Enfin voilà, l’Inde était pour nous un grand spectacle dont on ne pouvait se lasser, ne serait-ce qu’une seconde. C’était aussi, à nos yeux et peut être plus qu’ailleurs, un immense espace de liberté. Bref, merci à elle, et puis merci à d’autres aussi...


Merci, d’abord, à Luis, le madrilène, qui sur la voie d’une sagesse qui le caractérise déjà me glissera un matin, dans un impeccable anglais à l’accent ensoleillé : «chaque jour est un jour spécial comme les autres». Everyday is a special day like the other, en VO, ou le genre de «punchline» dont il a le secret et que l’on s’empresse de noter sur un cahier !

Merci, ensuite, à Mickael et Maria, pour leur stand de «street food» au grand cœur, non loin de la plage de Palolem, à Goa. Chez eux, par souci d’économie les quatre tables en plastique trônent dans l’obscurité une fois la nuit tombée. Mais l’on dira que sans électricité l’ambiance est plus intime... et c’est vrai. Maria est derrière ses fourneaux, au bord du trottoir, et harangue chaque passant comme si sa vie en dépendait... et malheureusement ça aussi c’est vrai. Mickael, de son côté, entre deux services recycle les chandelles en bout de vie. Ici on sert des samosas et des thalis qui ne valent rien en roupies, mais parce qu’ils sont faits avec passion et tendus avec tant de sympathie, on se sent en famille, et ça n’a pas de prix.

Et puis chez Mickael et Maria j’ai trouvé la meilleure des cartes de fidélité : à partir de votre troisième passage, vous serez à chaque fois accueillis par une chaleureuse étreinte pleine de sincérité. Et ça, croyez-moi, ça vaut tous les chapatis du monde ! Sauf peut être ceux de Maria, parce que vraiment, ils sont trop bons !

Et puis merci à Charchill, particulièrement, mais aussi à tous ses compatriotes avec qui nous avons à un moment ou à un autre partagé un compartiment. Parce que les indiens semblent avoir trouvé la recette du vivre-ensemble et la concoctent dans leurs trains à chaque instant. Sans se connaître ils parlent, partagent des repas, s’engueulent parfois... ils y dorment, se lavent, font quelques achats... ils y vivent quoi ! Pour le meilleur et pour le pire, mais c’est le meilleur qu’on retiendra.

On se doit également de remercier tous les chauffeurs, tous les rabatteurs, croisés sur les trottoirs des gares routières, et qui nous ont TOUJOURS dirigés vers le bon endroit lorsque nous étions face à 35 bus dont les destinations étaient uniquement inscrites en Hindi. Merci à eux, vraiment, de ne pas nous avoir envoyés, par négligence ou pour rigoler, à l’autre bout du pays !

Merci, sans faute, à Jeremy rencontré à Pondy, et à Marion, Laurent et Thomas croisés à Hampi. Merci pour ces moments très français, à parler de tout, de rien, d’horizons lointains et bien sûr du pays... Merci aussi à Adam, qui avec son goût pour la musique, les stups, mais surtout sa bienveillance et toute sa sympathie, m’a offert des moments sincères et enrichissants. Merci, enfin, à Antoinette et Harry, avec qui il a été un vrai plaisir d’échanger.


Merci, également à tous ces indiens, qui par bienveillance ou curiosité, se sont arrêtés pour nous guider, nous renseigner, sans même que nous l’ayons demandé. Et pardon à ceux que nous avons pu dénigrer, pensant parfois à tord que leur démarche était intéressée. 

Et puis merci, quelque part, à ceux que l’Inde a pu dégoûter. Merci à Alessandro, baroudeur italien qui, dans sa poursuite des sept merveilles du monde moderne, retiendra assez peu son étape sur le sous-continent. Le flou artistique autour des transports, les arnaques, les hébergements très moyens auront eu raison de son enthousiasme. Alors merci à lui de nous permettre de mieux réaliser comme l’Inde peut être cruelle et sans pitié... Et merci de nous avoir donné encore un peu plus de fierté d’avoir effectué ce merveilleux voyage. Dans le même esprit, enfin, merci à ce russe sur le départ et croisé à Delhi. Il y aurait selon lui 1,3 milliard d’idiots en Inde, tous malpolis et inaptes à la réflexion. Alors merci à lui de nous démontrer que dans la rencontre de l’autre et de l’ailleurs la tolérance est la clé, mais que tout le monde n’en est pas doté... Merci à lui, aussi, de nous conforter dans l’idée qu’il est si riche de découvrir d’autres modes de penser, de fonctionner, à condition d’y être prêt. 


Alors voilà, ça y est, l’Inde c’est fini, au moins pour cette fois-ci. Direction le Népal, le petit voisin qui a probablement beaucoup de choses à nous apprendre, lui aussi !